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Lettre ouverte à Baba Mahamat, mon frère centrafricain

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Cher baba

Je ne t’écris pas cette lettre pour avoir de tes nouvelles ou/et t’en donner des miens, car les nouvelles de chez toi sont sur tous les médias.

Malheureusement. Je sais que physiquement tu vas bien mais que mentalement tu es comme écorché vif. Tu souffres pour ton pays. Pour ton euple. Que tu pleures chaque mort. Mais continue à te battre. Tu le fais bien. Tous les jours. Chaque instant.

Baba, je t’écris cette lettre pour te dire tout mon ressentir. J’ai eu mal moi aussi. Mal de voir un pays se déchirer comme ça. Mal, parce que je suis africaine, mal parce que je suis malienne et malheureusement j’ai vécu quelque chose comme ça il y a deux ans et j’ai encore mal de voir la manière légère dont les politiciens sont en train de manipuler mon peuple.  Mal de voir le cercle infernal du parti-état reprendre, de voir qu’il n’y a pas de dialogue inter-ethnique alors que la fracture a été considérable.

Le problème de Kidal qui échappe à l’état central malien n’est que la partie visible de l’Iceberg. Les Touaregs te diront ce qu’il en est si jamais tu en rencontres. Ceux des camps de réfugiés te raconteront certainement cette histoire qui est devenue presque une rengaine, du peuple martyre désireux d’indépendance, victime des assauts des militaires maliens, oubliant les parties de l’histoire où ils s’en prenaient aux populations noires qui sont beaucoup plus nombreux, mais pacifiques, des militaires maliens égorgés – y compris ceux de leur ethnie-, de leur projet de société qui programmait l’extermination simple des noirs pour la création d’un état « blanc » avec les arabes ( une autre minorité). Ils ne te diront pas le nombre de viols qu’ils ont pu commettre sur les filles des songhoï, peulh, Bambara, avant de rentrer dans l’habit du refugié qui craint la vengeance et chante le mirage Azawad, une guitare sur l’épaule.

Et pourtant il nous faudra passer le savon sur tout cela.  Accepter de repartir avec ces mêmes touaregs et arabes. Nous n’abandonnerons pas nos maisons pour eux, disaient les vieilles personnes à Tombouctou. Je les comprends. On ne peut que pardonner  et continuer à vivre ensemble, même si on ne peut oublier.

Pour construire la paix, il faudrait que la guerre finisse.

C’est dans l’esprit des hommes que les guerres naissent et c’est dans l’esprit des hommes que doivent être érigés les défenses de la paix dit l’UNESCO, J’espère la paix. Pour nous tous. Malgré tout !

Comme la Centrafrique, le Mali s’est retrouvé sous une sorte de tutelle après le coup d’état des hommes de troupes qui ont profité du pouvoir pour rattraper leur retard sur le plan social et financier, plongeant le Mali dans un cercle infernal avec des évènements de tout genre : cela va du pillage des bureaux de la douanes à une bastonnade – quelle honte !- du président par intérim, Dioncounda Traoré.

Je me rappelle si bien de cet épisode…

Pour la première fois, j’ai eu honte d’être malienne. Honte de partager la même nationalité que ces barbares. Mais bon, ils étaient manipulés par les mêmes hommes politiques qui animent les débats au Mali depuis la naissance de notre pseudo-démocratie née des évènements de mars 1991. Une tristesse immense l’a accompagnée. Comme la Centrafrique, Ils ont tenté de diviser en utilisant aussi bien la religion que l’ethnocentrisme. J’ai vraiment eu peur pendant la campagne électorale, c’était le candidat venant du nord – Soumaïla Cissé – contre celui du Sud – IBK- des consignes de votes ont été donné depuis les mosquées. Accepter les résultats des élections malgré toutes les preuves de bourrages d’urne de la part de Soumaïla Cissé a sauvé le Mali d’une autre guerre. Heureusement Dieu veillait au grain.

Oui Dieu,  je ne dis ni Allah – je suis musulmane- ni Jésus… je n’utiliserai aucun nom. Je ne veux pas de cette différenciation qui  arrive à se frayer un chemin dans le cœur de la population et se transforme facilement en haine de l’autre. Non, ne pas avoir la même religion ne peut être un motif de crimes.

Je partage tous tes messages sur les réseaux sociaux. Je perçois ton cri du cœur pour tes compatriotes, pour nous tous. Comment faire comprendre à ces personnes- en sont-elles réellement ?- Ces gens, d’arrêter ce massacre d’innocents basés sur ce critère : musulman donc séléka, chrétien donc anti-balaka.

Je t’assure que j’ai senti cette même impuissance, cette soirée de Tabaski, à Tombouctou, quand je regardais, cet animal, Mohamed Mossa de son nom, fouetter cette fillette parce qu’elle portait mal leur voile islamique puis l’enfermer dans l’étroite cabine d’un distributeur automatique. Je ne sais pas ce que tu ressentais en voyant  celui qui est désormais ex-président et chef de la dite ex-rébellion, celui par lequel le malheur s’est abattu sur ton pays, mais moi je ne supportais pas le chef de la junte qui avait ‘’ tout organisé’’ –pour parler comme Jean-Miché Kankan, sans aucun pince-rire-

Grace à lui, au baillage médiatique que lui réservait « cette télé nationale », à cet aveuglement de certains de mes compatriotes qui s’efforçaient en lui un héros, créant des fan’s club, allant jusqu’à lui apprêter des pouvoirs mystiques à cause de ce bâtonnet qu’il trimballait – comme Yaya Djamé et que je lui aurais bien pris pour lui donner des coups sur la nuque !- et faisait la pluie et le beau-temps à Bamako. Pauvre peuple analphabète.

Baba, cette lettre juste pour te dire courage. Pour te dire que le jour finira par se lever pour ton pays, comme c’est arrivé pour le mien.  En tout cas nous voyons les premières lueurs du soleil…

Je souhaite pour ton pays de trouver un homme ou pourquoi pas une femme ? qui saura le sortir de ce gouffre. Je crois que la solution ne pourra venir que des centrafricains eux-mêmes, du dialogue et de la réconciliation des hommes. Les interventions qui nous ont permis de sortir de l’occupation, française, tchadienne et africaine en générale, sont venues plonger ton pays dans une violence sans précédent.

Mon Dieu.

Baba courage. Continue sur ta lancée, aucune action, aucun message, aucun billet de ton blog ne sera de trop.

 

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Auteur·e

faty

Commentaires

Serge
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belle réflexion sur le rôle néfaste que joue la réligion dans certains pays où il est politisé... toutes les réligions...

Faty
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Le politicien a vite compris l'emprise de ces religions sur les hommes, si nous prenions le cas du Mali, les pseudo-djihadistes ont sévi contre des populations qui étaient de la même religion qu'eux !

Baba Mahamat
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Merci Faty pour cette dédicace et surtout pour le nouveau souffle et un autre élan que tu me donnes. Toi ce que tu dis me va droit au coeur. Merci encore ma soeur pour ce sacrifice pour mon pays et pour moi.

Faty
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je t'en prie, c’était viscérale pour moi, il fallait que cela sorte...je m'en beaucoup mieux je t'assure!

Osman Jérôme
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Une lourde missive au contenu fort et puissant. Sincèrement, il nous faut beaucoup plus de ces lettres qui peuvent servir de manteau de courage a nos sœurs et frères, impuissants face au froid du chaos et du désordre politique de leur pays.

Faty
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Merci Jérôme...

Baba MAHAMAT
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Chere Faty,
J'ai versé quelques larmes en parcourant cette lettre ouverte qui, plus qu'un message de soutien, retrace aussi le parcours exemplaire d'une personne, une femme, une défenseur de la démocratie et surtout une vraie musulmane que tu es. Merci du fond de mon cœur pour cette lettre, à travers son contenu qui vient me donner encore plus d'élan, plus de vivacité, plus de courage, plus de détermination, ...bref plus de raisons pour continuer ce combat aussi noble qui est le nôtre. Merci infiniment ma Grande!

Baba Mahamat