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Konna, une ville tristement célèbre du Mali

crédit photo: Faty
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A la mi-janvier 2013, la ville de Konna faisait la Une des journaux internationaux par l’intervention de l’armée française pour arrêter l’avancée des troupes des fous de Dieu -qui obéissent plutôt à Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique)- ; avec une armée malienne en déconfiture totale et un pouvoir vacillant entre Koulouba et Kati au sud pays.

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Les premiers bombardements de l’aviation française ont d’abord été concentrés sur cette petite bourgade qui s’étend le long de la RN16 –RN : route nationale ? Hum… c’est une route que la nation semble avoir oubliée -, les  bâtiments publics de la ville en gardent les stigmates. Konna est une commune de la région de Mopti. Elle « était la frontière du Mali avec le providentiel Azawad » -dixit un militaire malien- pendant l’occupation du Nord. Un point au centre du Mali si vous jetez un coup d’œil à la carte.

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D’ailleurs, l’occasion est trop belle pour rendre un hommage au premier soldat français Daniel Boiteux qui perdit la vie pour nous, mais aussi à tous les autres Maliens ou pas, morts dans ce conflit qui est des plus complexes –même  si je me tue à vous expliquer le rôle du versatile MNLA qui a détruit les faibles infrastructures dont disposaient les régions du Nord. On en perdrait le nord.

Le Mali l’a fait…ha. Ha. Rire jaune. Car c’est loin d’être drôle quand on pense, ne serait-ce qu’aux pertes matérielles, aux vies humaines qui ont été perdues, aux milliers de personnes qui se sont retrouvées réfugiées dans des pays étrangers si ce n’est au Sud, à ceux qui ont décidé de rester sur place et ont souffert le martyre, ballotés entre les humeurs des djihadistes qui peuvent aider une femme enceinte à rejoindre un centre de santé et couper la main d’un jeune homme pour vol, le même jour.

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Le 11 octobre dernier, la pinasse dénommée « Ségou » chavire dans les eaux du fleuve Niger dans les environs de… Konna. Oui encore Konna. La pinasse était en route pour Tombouctou comme moi. Je suis arrivée à Mopti vers les coups de 18 h. Mais souffrant d’une maladie que je n’hésite pas à appeler de l’hydrophobie car quand l’eau dépasse celle d’une bassine, je n’y entre pas. Je me rappelle encore de la première fois que j’ai vu l’océan au Bénin. La fascination ne m’a pas poussée à y tremper les pieds.

Naturellement, et comme d’habitude, je me suis contentée de chercher une place à bord des vieilles dépouilles, essoufflées, de 4X4 qui nous amènent à Tombouctou.  C’est là-bas que j’appris la tragédie de Konna.

Deux femmes, mère et fille, rescapées, cherchaient aussi une voiture pour Tombouctou.

Elles sont toutes deux minces. Leur seule ressemblance ? Peut-être leur minceur. Quarantaine et vingtaine dépassées. Entendant –sans les espionner hein !- leurs conversations avec plusieurs membres de leur famille, je compris que ces femmes ont échappé à la mort. Elles sont tellement agitées.

« – Oui, nous sommes toutes deux saines et sauves, mais nous ne sommes pas sorties ensemble. Rose, ma fille, a été sauvée par un salon- comprenez canapé- qui flottait, moi je ne sais même pas comment je me suis maintenue sur l’eau. Je n’ai jamais su nager.

– C’est Dieu qui nous a aidées  » dit la mère  les yeux embués de larmes.

Ma belle-sœur –encore une, mais je dois vous dire que j’ai trois frères qui sont mariés- mon hôte du moment, m’apprit que nous avons pour voisin, justement le propriétaire de la pinasse qui a bu  la tasse.

Alors que la presse annonçait une vingtaine de victimes, elle m’informa que le bilan était aussi loin de la réalité que l’est « le poisson séché de l’eau ».

Les gérants de la pinasse annoncent avoir inscrit 400  personnes. On annonce que 200 personnes environ ont été sauvées et seulement une vingtaine de corps retrouvés. Où se trouvent les personnes manquantes ?

J’eus le sang glacé. Je connais ces pinasses. Leurs réalités. J’ai eu à les emprunter une seule fois. J’étais en classe terminale et voyageais avec ma sœur pendant les vacances scolaires. Nous quittions Mopti pour Diré (ville de la région de Tombouctou) où l’homme de Markala- l’aîné de mes grand-frères que nous (mes sœurs et moi) avions surnommé ainsi parce qu’il a passé une semaine a annoncer un providentiel voyage pour Markala (ville de la région de Ségou au Mali) qui n’a jamais eu lieu- nous attendais.

Les pinasses  du Mali n’ont plus rien avoir avec les premiers navires qui portaient ce nom vers le XIIe et le XVIIIe siècle. Ce sont de grandes pirogues  de construction traditionnelle, dotées de moteurs pour les propulser. Elles sont d’une rapidité moyenne et à la différence des bateaux de la Comanav (compagnie malienne de navigation)  lents et vieux, car datant des indépendances. Ils ne jettent l’encre que dans les villes principales alors que les pinasses ont l’avantage de faire les marchés des petits villages aux abords du fleuve Niger avec un prix beaucoup plus bas que les bateaux. En plus, ces pinasses ne connaissent pas d’arrêt en décrue comme c’est le cas pour les bateaux.

Les pinasses ont aussi l’avantage, fort douteux, de permettre aux passagers d’emporter un poids hallucinant de bagages à moindres frais. Les chargeurs et convoyeurs  les remplissent de sacs de sucre, mil, riz, sorgho, fonio, haricots, jusqu’à avoir les eaux du fleuve au ras du bord. Les passagers montent  et s’asseyent sur cette cargaison. Le transport est gratuit pour les enfants.

Il y avait tellement d’enfants à bord de cette pinasse dénommée Ségou qui a chaviré à Konna. Des enfants et leurs parents qui cherchaient à rejoindre le Nord libéré. J’ai appris l’histoire de certaines victimes… toutes font couler des larmes.

Il y a celle de cette jeune femme, accompagnée de son mari qui a accouché dans le car qui la ramenait de Bamako. Elle voulait accoucher chez elle comme l’exige la coutume songhaï. Ni elle, ni son bébé venu n’ont échappé. Je n’ai pas eu de nouvelle du mari.

Il y a l’histoire de cette enseignante de Diré qui en train de rejoindre son poste en vue de la rentrée scolaire fixée pour le 21 octobre. Elle était accompagnée de sa filleule . Les deux y sont restées. Celui qui me raconta son histoire me dit que l’enfant était fille unique. Les parents sont à Bamako.

Ou encore celle d’un homme qui y perdit toute sa famille de 8 personnes,femme et enfants.

Heureusement, les bozos –pêcheurs- qui habitent aux rives ont rapidement porté secours et beaucoup de personnes ont pu être sauvées. Celles qui ne se sont pas retrouvées sous la coque de la grande barque surchargée.

J’imagine déjà les questions d’autres, qui n’ont jamais vu ces pinasses maliennes. Mais comment est-ce arrivé ? Pourquoi ? Quand je pense que Edwige Molou dit avoir apprécié sa pinasse’perience.

Il vous suffira de voir la façon dont ces pirogues sont surchargées. C’est à en croire que la brigade fluviale a été créée au Mali juste pour permettre aux agents qui y travaillent de contempler le fleuve après avoir perçu plus que menue monnaie avec les piroguiers quand ils n’enquiquinent pas de pauvres pêcheurs.

En plus, comme des Sotramas – bus verts de Bamako- les pinasses aussi font la course sur le fleuve, se poursuivant en une folle chevauchée sur les eaux. Se rapprochant  dangereusement et ne pensant qu’à être le premier à aborder les côtes de Diré, à avoir les passagers, les commandes des transporteurs.

La surcharge n’existe pas au Mali en réalité. Le nombre de personnes que le véhicule peut transporter dépend du  chauffeur. Il peut en prendre autant qu’il veut. Ce ne sont pas les policiers et autres gendarmes, chargés de faire respecter la loi qui l’y obligeront. Il suffit juste de leur glisser un billet.

Surchargé était le 4X4 qui nous conduisait à Tombouctou. Cela n’a pas posé de problème à la police du poste de sortie de Sévaré. Elle y arriva vers 18 heures en compagnie de deux autres, toutes en route pour Tombouctou. Toutes surchargées. Devant, à côté du chauffeur, il y a deux passagers au lieu d’un. Derrière -où je suis- 4 personnes au lieu de 3. Au poulailler-ce qui devrait être le coffre- deux bancs portent 6 personnes. Le policier n’a demandé les pièces d’identité qu’aux gens du poulailler.

Ce sont les militaires qui devaient seulement fouiller nos bagages qui nous firent chier- excusez du mot- car n’ayant aucune volonté de faire leur travail, le monsieur dont j’ignore le grade –je suis nulle en cette matière, je ne reconnais que le grade de général devenu si facile à avoir, d’ailleurs, je suis aussi tentée de chercher ce grade que la  « seule et simple nationalité malienne peut donner » !-

Le militaire que je commence à connaître pour avoir fait plusieurs fois le trajet Bamako-Gao, nous joua la scène de l’officier tatillon qui fouillera les bagages un par un.

La maman rescapée  se fâcha, en français.

J’ai compris après, qu’elle était infirmière et rejoignait son mari qui était administrateur à Diré. Avec sa fille. Elles ont décidé de continuer leur route. Sans bagages. Elle semble en proie à une indignation explosive. En colère contre tout le système qui a permis un tel drame.

-Il ne faut rien lui donner de plus. Ce sont des gens comme ça qui maintiendront le Mali en retard.  De quel changement peut-on parler quand des militaires viennent dépouiller les gens dès leurs maigres sous alors qu’ils ont leurs salaires ? Il ne faut rien leur donner. Qu’on y passe la nuit. Qu’ils fouillent tout.

Mais comme c’est le Mali, et qu’au Mali tout se négocie. Un homme, d’une cinquantaine d’années, qui est dans un autre 4X4 qui fait un convoi commun avec le nôtre pour Tombouctou, vint nous demander de donner 100 F Cfa chacun pour qu’on le donne au militaire qui entre-temps racontait sa vie :

«  Non ! Je vais vous fouiller et peut-être que vous allez partir vers minuit. Je m’en fous de l’argent. Tout de suite, un colonel est passé dans une voiture personnelle. Il m’a donné 1000 F Cfa, mais je l’ai fouillé ! »

J’ai explosé. Quelle malhonnête et quel menteur !

«  Il ment, dis-je à Rose –la jeune rescapée- c’est comme Tom et Jerry.  Juste une scène qui se joue inlassablement. Le chat poursuit éternellement la souris. Il fait tout ça parce que les 1000 F sont peu à ses yeux.  Quand on augmentera nos 100 F, il changera de discours. C’est minable. Le Mali n’a pas de solution. »

Sa maman me répondit : «  S’il y a une solution, c’est de respecter la norme, de ne rien leur donner. »

Un jeune homme, du voyage, intervint, aussi, à la malienne : «  Mais c’est nous tous que ça arrange qu’il ne fouille pas nos bagages. S’il le fait, nous allons perdre du temps ici. »

J’ai eu un sourire amer. C’est ça le Mali. C’est ça les Maliens. Des gens qui cherchent toujours des situations qui les arrangent. C’est plus simple de continuer rapidement un voyage au bord d’une vieille voiture chargée jusqu’au ciel.

« Madame vous voyez ? On respectera les normes partout dans l’univers sauf au Mali, si cela n’arrange pas la majorité des Maliens en tout cas. La corruption est dans notre sang maintenant ! La solution ? Ce n’est pas de chercher à exterminer une ethnie pour en laisser une autre, mais on devrait faire partir tous les Maliens et amener de nouveau, des gens qui ne donneront pas des bonnes notes à leurs « nièces »

Malgré tout ce discours, je donnai une piécette de 200 F Cfa, pour moi et une vieille qui marchait difficilement.

Rose préféra donner son billet de 100 F  à deux talibés.

La suite du voyage a été mouvementée, je vous donne donc rendez-vous dans un autre billet.

Bien le bonsoir les amis.

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Auteur·e

faty

Commentaires

Odilon236
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J'attendrais la suite avec plaisir. Bon travail!