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L’école et la tricherie

 credit photo: Faty
Credit photo: Faty

La fin du mois de mars correspond à la période de composition dans tous les établissements scolaires au Mali. Enseignante de ma nation j’ai consacré la semaine dernière à la surveillance de ces épreuves hautement importantes,  la moyenne de classe étant couplée à la moyenne de l’examen de passage dans les IFM (Institut de formation des Maîtres et  non Institut Français du Mali héhé !)

Enseignante oui, mais pas saignante par une plaie bien béante comme l’est l’école malienne.  Elle répond parfaitement à cette image que donne le Mali maintenant sur le plan international. Un pays entier qui a plié l’échine sous le poids de la corruption, des malversations, du népotisme, du favoritisme qui ressemble à de l’ethnisme. Oui ! Quand des dogons sont au pouvoir c’est des dogons  qui sont fréquents aux postes de responsabilité – là j’imite le chanteur de Gao et cousin  Baba Salah qui dans une de ses  chansons  remplace le mot touareg par dogon car les dogons sont les cousins des sonrhaïs  pour éviter de créer la polémique avec les Touaregs-.

L’IFM est un endroit bizarre, une sorte de nomansland dans le monde  l’éducation au Mali. Ce qui ne devrait pas être le cas car ce sont ces instituts qui sont chargés de  la formation des enseignants à l’école fondamentale au Mali.  La première question de mon lecteur concernerait certainement ce terme : « école fondamentale ». Cela correspond à ce que nous appelions au Niger  (et  toutes les anciennes colonies française) à l’école primaire et au collège : C.I  (cours d’initiation) jusqu’ à la 3ème.

Rappel…

Ce terme est malien dans ce cadre. Je ne sais pas comment on dit en Guinée.  Il m’en a fallu du temps pour comprendre les noms qu’on utilise dans le système éducatif malien. Puis, je suis venue à l’IFM Hégire -que j’aime soit dit en passant , même si certains font des pieds et des mains pour m’en faire partir et que le destin, seul, fera son travail- et j’ai découvert la législation scolaire et l’histoire de l’éducation au Mali. Je l’enseigne en deuxième et troisième année. La programme de la deuxième année évoque notamment la reforme que le Mali, devenu socialiste de Modibo Keita, connait en 1962.

En classe, j’y insiste tellement que mon surnom auprès des élèves est devenu «  la réforme ». Ce n’est pas grave. J’aime bien l’innovation. Je la préfère à Madame LMP (Législation scolaire et Morale Professionnelle), mon autre nom.  Je m’amuse même parfois à appeler mon mari « Monsieur LMP ». Quand il demande :

–          Pourquoi ? C’est quoi LMP ?

Je réponds.

–          C’est moi madame LMP, donc toi, c’est …

–          Toi et tes élèves !

Pour en revenir à nos moutons et à la réforme de 1962, le jeune président du jeune Etat qui venait de se défaire du Sénégal (ou bien c’est le contraire ?) cherchait à se lancer. L’enseignant a compris que l’éducation était un maillon de la chaîne. Il a préconisé cette réforme pour permettre à une grande partie de la population de prendre part au développement en sachant lire et écrire. Le credo était une alphabétisation de masse et de qualité  pour permettre d’avoir rapidement les cadres dont le pays avait besoin.  Modibo Keita a jugé utile de trouver les contenus de l’enseignement  sur les traditions et l’histoire malienne d’abord, africaine et ensuite universelle.  Le système a été malianisé. On ne se permet plus de chanter des cantines sur nos ancêtres les gaulois.

Et l’école fondamentale raccourcit d’une classe  est créée et va de la 1ère à la 9ème année, sans examen  de passage en 6ème.

Il faut dire que les sortants de cette école fondamentale n’ont rien à envier à nos bachelors de maintenant.  Les élèves maliens ont de véritables problèmes ces derniers temps. Plus on avance dans le temps, plus ça se gâte. Ça se pourrit même !

Les raisons d’une telle situation

Je suis enseignante. Je me répète. Mais je le répète à juste raison. Je suis enseignante. Je suis aussi, autant,  responsable.  Coupable ! Je ne peux me désolidariser de mes collègues.  Les enseignants ne font plus leur travail. En tout cas au Mali.  Tous les enseignants sont coupables.  Il y en a qui font encore un travail monstre avec les enfants, dans les petites classes. Je sais bien.  Je suis ne suis pas dans les petites classes. Mais je sais que le grand du problème de l’enseignement malien se trouve justement à ce niveau-là. Les enfants ne savent plus lire, ni écrire. Les enseignants sont devenus des hommes d’affaire. Le métier n’est plus un sacerdoce. Il n’y pas plus de vocation.  Il faut juste gagner sa vie. Avoir un travail pour éviter le chômage. C’est facile d’être enseignant au Mali.  Déontologie ? Mon œil. Ce sont les nouveaux mercenaires. Ils se vendent. Et même pas au plus offrant.

Bien sûr, une enseignante ne sortirai pas avec son élève (et je suis douce quand j’utilise le mot sortir car en réalité c’est un autre mot, brut, bestial qui correspond à cette conduite honteuse) et si cela arrive, il relève de l’anecdote.  Mais une enseignante  qui corrige et modifie les notes selon la valeur  (je veux dire le poste de responsabilité) des parents de son élève est autant coupable.

Une enseignante qui donne des notes à tel ou tel élève parce que la fille de nièce d’une fille de la coépouse de sa grand-mère est vraiment autant coupable.

Que dire de cet enseignant qui se prend pour Dieu sur terre dans sa classe, obligeant les élèves (et même les étudiants) à acheter sa brochure  (du copier-coller via internet) et en plus à faire les cours privés (qui sont faites à l’école) n’est-il pas coupable du bas niveau de ces élèves ? Pire ? Parfois les cours privés servent de préambules aux compositions. Tu veux avoir une fuite et préparer  la tricherie –que les élèves appellent Djinè, Djinn- ? Mais participe aux cours privés  qui sont organisés à l’approche  des examens.

Donc pourquoi la tricherie est généralisée dans les écoles maliennes ?

Parce que les élèves, et leurs parents parfois, pensent et sont convaincus que c’est le moyen le plus facile pour obtenir un diplôme.  Le papier. C’est à cela qu’ils pensent.

L’enfant ne veut pas s’user les yeux.  Son père veut le diplôme qui lui permettra de lui trouver un poste par ses nombreuses relations. Il  est prêt à tout pour son rejeton chéri.  Et fait tout pour arriver à ses fins : acheter une moto, le mettre dans le même établissement que ses amis, argent de poche pour les boites de nuit les plus huppées, vacances à l’étranger… Sans oublier l’argent pour acheter les notes.

J’étais sidérée le jour où j’ai appris que mon grand-frère, (enseignant comme moi) payait des cours privés pour ses enfants qui sont  en 3ème année et en 1ère année (CE1 et CI). En première année ! Il faut initier l’enfant à la lecture-écriture en classe. Le maître ne trouve pas le temps, et d’ailleurs est-ce possible avec une classe de 80 à 120, si ce n’est plus ?

Imaginez que le maître est un jeune sortant d’un IFM

On recueille dans les IFM des élèves qui sont titulaires soit du DEF (diplôme d’étude fondamentale) pour un cycle de quatre ans, soit du BAC pour un cycle de deux ans. Dans la majorité des cas se sont les recalés des lycées qui s’y présentent – et passent avec un petit bras long- où des étudiants intéressés par la bourse  qui est la même que celle de l’université, 25.250 francs CFA, essayez de convertir en euro, vous verrez c’est des clopets.

Mes élèves me lisent, je le sais, mais je suis bien désolée de dire ma remarque. Beaucoup ne viennent à l’IFM que pour la bourse. Ils n’ont ni la vocation, ni les aptitudes, ni les qualités nécessaires au métier. D’ailleurs, le caractère franco-arabe de l’IFM Hégire ajoute aux problèmes de mes élèves. Ils sont sortants des medersas (écoles coraniques) qui bien qu’ayant un programme officiel bilingue obéit entièrement au bon vouloir des marabouts qui voient au français « la langue de Satan » en personne.  Certains arrivent à passer à l’examen (d’ailleurs je me demande comment car il y a une épreuve de français) sans savoir réellement lire et écrire en français.

Ils ont bien  cinq heures de français en première (avec mon collègue et ami Ibrahim O. Maiga) et en deuxième année (avec moi), mais  la réalité est renversante. Ceux qui sont bon en français ont parfois commencé leur scolarité au Burkina Faso ou en Côte d’Ivoire. Je suis concernée. Pourtant l’école malienne avait une bonne réputation il y a… vingt ans.

Il faut tricher, s’entraider… pour passer. Mais comment ?

Ayant fait ma quasi scolarité au Niger, je ne connais pas la tricherie. Je le dis fièrement à mes élèves lorsque j’arrive à intercepter leurs « djinns ». Certains sourient. D’autres secouent la tête. Je sais qu’ils ne me croient pas car au Mali, tous les élèves trichent. Ne vois pas le meilleur en un élève. Il triche toujours. Ils échangent les informations. Même quand il n’a pas un bout de papier avec lui, il laisse son brouillon à son ami qui le passera à quelqu’un d’autre.

Quand tu surveilles une matière dans une langue et un alphabet que tu maîtrises, c’est bien. Quand c’est le contraire, c’est autre chose. Il est bien interdit d’écrire sur les murs, mais cela n’empêche pas aux élèves de le faire. Quand ils ont une matière en arabe, ils n’hésitent pas à écrire toute une partie du cahier  sur l’épaisseur du mur de la fenêtre –les murs sont très larges à Tombouctou- qui leur fait face.  J’ai compris la supercherie en suivant les mouvements de l’iris du fautif qui était concentré pour pouvoir recopier. Un collègue arabisant –ils s’appellent eux-mêmes ainsi et nous appellent nous qui enseignions en français francisants-  nous a appris ensuite qu’il s’agissait du sujet en question. On l’effaça et je retirai les brouillons pour lui en donner de nouveaux. Les flèches qu’il me lançait m’aurait fait disparaître. Mais je m’en moque. Je surveille serré. Les élèves le savent. Personne ne veut que je les surveille. Moi et Boubacar Coulibaly, un professeur d’histoire-géographie, la rigueur personnifiée. Geek comme moi. Quand nous sommes ensembles ils crient. Une fois les compositions venues, fini  la complicité.

Mon attention est comme aiguisée.

Un élève qui porte pour la première fois un grand boubou ? Pas net ! Il me suffit juste de lui donner une quinzaine de minute pour le voir sortir une feuille bien remplie de fines écritures – je me demande où il a eu un stylo à la mine aussi fine.

Les casiers doivent être bien fouillés, des papiers qui traînent juste à côté ? Ce n’est pas dû à l’absence de manœuvre, ni un hasard, le propriétaire le récupéra le temps venu.

Je mémorise les différents brouillons que je lis en passant. Je prête attention à la graphologie de chacun. Un brouillon échangé pendant que je bois de l’eau ou que je me pointe à la porte pour prendre mon si précieux thé de 10 heures ? Je m’en rends compte aussitôt. J’exige bien qu’ils écrivent leurs noms sur les brouillons et en français. Mais ils sont de si bonne volonté qu’ils ne s’exécutent jamais. Tu demandes à quelqu’un de le faire ? Les autres profitent pour tricher. Tu parles à ton coéquipier ? Ils en profitent. Tu démasques un tricheur ? Ils en profitent pour tricher. Et quand je te prends, je n’hésite pas à te sanctionner de la même manière, même si c’est à la dernière minute.

Je suis dure avec eux pendant les compositions. Ils disent bien que je suis leur amie.  Ils me disent même « notre madame » comme pour chanter en mon honneur. Mais je ne sais pas tricher. Je n’aime pas les tricheurs. Je le leur dis.  Je le leur montre. Un enseignant doit être exemplaire. Ils n’y comprennent rien ou ne veulent rien y comprendre.  Moi je suis sans pitié alors et je les suis pas à pas.

Un élève qui reste trente minutes sans rien écrire ni sur le brouillon ni sur la feuille. Il a certainement un « djinn » caché quelque part. Si je le serre bien il ne le sortira pas.  Certains y arrivent malgré tout, car leurs tours sont innombrables. Les filles sont très fortes dans cette matière. Parfois elles se contentent d’attendre simplement les informations qui viennent de toute part. Elles traitent ceux qui refusent de les aider de « méchants  et d’égoïstes ».

Encore un billet long après la phase des proverbes. J’espère vous en avoir beaucoup dit sur mon métier pour une fois. Je vous donne rendez prochainement pour vous faire découvrir l’IFM Hégire sans cette sordide histoire de tricherie.

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faty

Commentaires

Moussa CAMARA
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Eh Je sais pas si le blog continue de fonctionner car ceci est un très vieil article. Mais je souhaite de tout cœur que Faty soit et qu'elle continue bon grés malgré à décrier cette situation qui fait honte aux quelques enseignants qui comme moi, croient encore en la vertu de l'honnêteté et du mérite.