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Ça bouge à Bamako

Forces vives ou virevoltantes (Crédit photo : Faty)
Forces vives ou virevoltantes (Crédit photo : Faty)

Ça bouge à Bamako… et de quelle manière !

Dès sept heures du matin, mercredi 9 janvier, lorsque j’enfourchais ma Djakarta, je me doutais que quelque chose se tramait : il y avait un embouteillage monstre et traverser la ville m’a pris plus de temps que d’habitude. Cette fois-ci, je décidais de ne pas emprunter la voie passant devant l’hôtel de l’amitié, préférant celle du boulevard – ou c’est une avenue ? je ne sais plus – en passant devant l’Ensup, l’Ecole normale supérieure de Bamako.

Vers 7h20, une grande sono jouait une chanson en bambara ayant pour thème le Mali.  Devant le monument de l’Indépendance et piétinant les pauvres fleurs et autres arbustes décoratifs, des  jeunes hommes arborant aux cous des  bouts de tissus verts et jaunes patientaient. Comme il me faut avancer et continuer de rouler, je n’eu pas le temps de penser au sens de ces couleurs. « Encore des empêcheurs d’avancer », pensais-je en secouant la tête.  J’ai tranquillement continué mon chemin jusqu’à mon institut à Missira.

Je suis entrée en classe comme d’habitude, faisant recopier à mes élèves la partie restante de la leçon de grammaire sur l’article que je leur avais déjà expliqué. Nous en étions encore à ce recopiage, quand un premier coup de feu retentit !  Je ne peux le confondre avec le bruit que fait une pneu qui éclate comme on en entend à longueur de journée (notre école est au flan du marché  de Médine et le bruit nous entoure). Ni moi, ni mes élèves n’eurent de doutes – car nous connaissons le son émis par les armes depuis le 30 mars – et  j’eus à peine le temps de plaisanter : « Ayewa , Mujao est entré à Bamako« , quand le second retentit et là direction la porte. « S’il y a danger, il ne faut pas courir de risque inopiné », pense surement chacun !

A peine dehors, nous entendîmes et virent les enfants des deux écoles qui nous entourent sortir effrayés de leur classes et de leurs cours comme des diables de leurs boîtes, complètement paniqués, sous les coups de sifflets des jeunes gens qui sont de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). J’ai même envie de les appeler des badauds car ils en ont l’air, les regards hagards et les voix rauques, les lèvres sèches et blanchies par le vent frais du matin certainement…

– Les enfants qu’est-ce qu’il y a ? »

Grèvou kelaou dedo ! (Ce sont les grèveurs !), répond un enfant en achetant un sachet d’eau avec le gardien.

En fait, les enfants appellent « grêveurs » les membres du comité directeur de l’AEEM qui ont l’habitude de venir les faire sortir de classe pour les obliger à participer aux marches. Ils en ont une sainte peur. Quand ils envahissent les écoles primaires, les enfants ont pour ordre – de leurs parents et des enseignants – de chercher à rentrer rapidement à la maison, car ce sont des bandits qui pourront leur faire du mal.

Voyant un élève venir de la porte avec un regard  bizarre, je lui demande ce qui se passe et d’où viennent les coups de feu.

« Ce sont deux hommes qui étaient dans deux 4×4 qui tiraient en l’air en passant, madame, il faut partir rapidement à la maison, le pays est mauvais aujourd’hui », m’explique-t-il en bambara.

J’avais peur c’est vrai, mais il me fallait tirer cette affaire au clair. Je restais sur place, devant les classe, à  demander aux élèves ce qui se passait, tout en voyant le secrétaire général du comité AEEM de mon établissement avoir une discussion houleuse avec les envahisseurs (c’est le mot qui leur va le mieux je crois).

A un mètre de moi, un élève de première année, voulut protester en disant en bambara : « Nous ne pouvons pas sortir comme ça, vous allez d’abord nous dire ce qu’il y a ! » Il se retrouva balayé d’un coup de pied et mordit la poussière rouge.  C’est allé vite, mais je compris que c’étaient les « badauds » de l’AEEM qui, énervés par ses propos, ont fini par lui donner une leçon dont ils ont le secret : la violence !

Ils se dirigèrent en direction de l’école, suivi des  élèves et de certains enfants curieux en se criant dessus. « Vous êtes membres de l’AEEM et quand l’AEEM dit de sortir, vous sortez, pas besoin de papier ou autre chose ! »  Comprenant qu’il faisait prendre des risques inutiles à ses camarades, le Général – c’est ainsi qu’ils appellent le secrétaire général entre eux – donna un grand coup de sifflet qui soulagea chacun. Ces gens sont capables de nous lapider en direct.

Les  voyant réunir les élèves pour leur parler, je confiais mon appareil photo à un élève pour qu’il me filme scène, curieuse d’entendre les raisons de tels agissements.

– Ils disent qu’ils mettent les élèves dans la rue pour faire comprendre la position de l’AEEM , qui ne va plus être  victime des hommes politiques. Ils veulent faire pression sur le pouvoir, et que les années scolaires vont finir par être blanches. Ils disent qu’ils veulent dire cela sur la place de l’Indépendance où se tient la manifestation des gens du COPAM, de IBK 2012 et de leurs acolytes qui demandent la démission du président de la république et exigent la tenue des concertations nationales dès demain, m’expliqua-t-on en guise de résumé

Héhé , mais l’AEEM  a grandi. Telle fut ma réponse.

Comme j’ai appris qu’il y avait une manifestation la place de l’Indépendance, je décidais de m’y rendre , mais comme le pays est chaud, je demandais à un autre élève de conduire ma moto (il est dans le même quartier que moi et n’est pas casse-cou). « Quelques photos  ne feraient pas de mal à mon article », pensais-je en cours de route.

A la descente de l’échangeur de Darsalam, la route était barrée par la police anti-émeute qui nous obligea à emprunter un sens interdit, mais nous descendîmes de la moto pour nous diriger vers le grand monument qui domine la place. C’était noir de monde, et en s’approchant, on se rendit compte que c’était noir d’enfants. De nombreux collégiens et lycéens étaient là, et quelle confusion ! D’un côté, certains debout sur des estrades lançaient les slogans de l’association des élèves et étudiants du Mali, comme un dialogue : « A bas le népotisme ! »,  » A bas la corruption ! », « A bas les ennemis de l’école malienne ! »… Je pris quelques photos.

De l’autre coté, ceux que j’avais dépassé ce matin continuaient à jouer de la musique, ponctuée par les déclarations d’un DJ fortement engagé : « Nous demandons les journées de concertations nationales pour permettre au Mali de sortir de la confusion politique ».

Pendant que certains dansent, d’autres se pourchassent, continuant à jouer. Au beau milieu de cette agitation, je croise trois filles tenant une banderole. Après l’avoir lu, je  leur demande de me laisser prendre une photo. « Pas de problème Madame ». Je chassais au passage un garçon qui voulait prendre la pose.

La présence policière était impressionnante : la place était encerclée et les agents impassibles. La venue d’autres policiers concorda avec ma décision de quitter les lieux (on ne sait jamais, jamais !) Tout peut arriver dans la vie, chante Ladji Kolossi (un chanteur reggae malien décédé, très philosophe même si on ne le prenait pas au sérieux). Et comme moi, certains enfants eurent peur et une dizaine se précipita vers une rue à côté. Nous nous fîmes haler par un homme arborant un bout de tissu bicolore que j’avais remarqué le matin.

« Il ne faut pas partir, ils ne vont pas vous faire du mal, vous êtes des idiots ou quoi ? »

Comme il était proche de moi, je ne prêtais pas attention au doux nom qu’il avait utilisé pour nous désigner, à l’affut de renseignement :

 – Monsieur, c’est l’AEEM qui a organisé cette manifestation ?

– Non, pas seulement l’AEEM, il y a ici toutes les forces vives de la nation malienne.

– Pourquoi êtes-vous là ?

– Nous voulons réclamer l’organisation des journées de concertations nationales et aussi encourager l’armée malienne pour la défense de la souveraineté de notre pays.

– Et la démission du président ?

Il ne répondit par et parti vers deux garçons dressés comme des armoires à glace, musculature oblige : « Il faut les empêcher de partir. »

Une heure plus tard j’étais chez moi, assise en face de mon ordi, pressée de publier ce billet.

En bonus les photos qui parlent.

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faty

Commentaires

Aphtal CISSE
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Hmmmmmm ce sont de belles photos ma soeur.
POur mes impressions là, je vais aller écrire ça à la maison et venir coller ca demain... Bonne soirée ma chère.
Aphtal

Faty
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merci Kaîno,bien de choses à la famille

Sanso
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Merci pour le courage! Merci pour la promptitude!
Je déplore ce que le Mali vit aujourd'hui. Je souhaite que la sagesse guide l'ensemble de la classe politique et que seul l'intérêt du pays prime. Ceci étant, la jeunesse malienne, comme celle de tout le continent doit se garder de céder à la manipulation. Qu'elle se batte pour les objectifs qui lui sont véritablement bénéfiques.
Bonne chance

serge
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ça va dans le sens du dernier article d'Aphtal sur les "pendules", je m'explique: comment peut-on demander la démocratie en Afrique si nous n'en comprenons guère le sens? Forcer des enfants à participer à des manifestations qui pourraient dégénerer c'est faire preuve d'un manque d'humanisme. Les enfants sont-ils des boucliers humains? c'est aussi pour ça qu'on avance pas étant donné que nos dirigeants montrent la même incomprhénsion de la démocratie.
Quand j'étais à Kinshasa, il arrivait aussi qu'on nous force à participer à ce genre d'évenement sous peine d'agression physique. Je note quand même la grande proprété de la ville, ce qui n'est pas le cas de la capitale du Congo (Kinshasa), notre grand défaut. Des belles images

Faty
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Merci, mon ami serge

serge
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ma petite curiosité: tes élèves s'intéressent-ils aux blogs? Te lisent-ils parfois? ça ferait des beaux débats en classe, non?

Faty
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en tout cas j'ai ecrit le lien en gros au tableau, il y en a qui s'y intéressent et nous discutons beaucoup de cette situation. tu sais ces élèves ont été affectés par la guerre. je reviens à toutes les occasions.